Convergence des luttes à Rouen : quand les écologistes visitent les syndicats

Dominique MEchappée Belle, Économie, Édition 2018, Environnement, Normandie, Lutte, Social, Transverse

(Dimanche 22 juillet) Les altercyclistes venus de la campagne normande, rejoignirent Rouen, après avoir traversé pendant vingt kilomètres la zone industrielle totalement déserte en ce dimanche. Défilaient autour d’eux à mesure qu’ils pédalaient, les impressionnants silos de céréales et autres monumentaux réceptacles à matières premières. Sans doute ont-ils pu méditer, lors de cette interminable procession des infrastructures en béton, sur les ravages de la société thermo-industrielle. Mais nos écologistes allaient bientôt rencontrer des humains faits de chair et d’os qui, tous les matins, se lèvent pour faire fonctionner ces grosses machines, en troquant leur force de travail contre cette chose qu’on appelle l’argent. Dans le centre-ville en effet, une rencontre atypique était prévue et nos altercyclistes se retrouvèrent bientôt au quartier général des syndicats de cheminots. Le temps d’un moment d’échange,  une petite vingtaine de personnes se mélangèrent : militants des syndicats cheminots, de syndicats infirmiers, militants associatifs, citoyens rouennais, élu.

Après un rapide tour de table, les syndicats d’infirmiers et de cheminots expliquèrent aux altercyclistes leurs luttes respectives, et comment ils tentent de converger contre la destruction organisée du service public.

Grève de la faim à l’hôpital

Les infirmiers de l’hôpital psychiatrique de Rouen nous ont expliqué comment les conditions de travail ont évolué depuis une dizaine d’années, vers un management déshumanisé et comptable, oubliant la priorité : soigner les personnes. On a remplacé l’accueil et l’écoute du patient par un tableau excel qui calcule tout, sauf les « bonjour » et les attentions. A bout, les travailleurs se sont mobilisés, certains sont allés jusqu’à entreprendre une grève de la faim : elle durera 18 jours pour certains, leur laissant parfois de graves séquelles. Il ne s’agissait même pas de demander une revalorisation de salaire mais simplement des conditions normales de travail, la première revendication étant l’ouverture de nouveaux postes. L’objectif est aussi bien de pouvoir travailler dignement, que de pouvoir accueillir dignement les personnes. Ils ont fini par arracher une poignée d’emploi qui a mis la lutte en sommeil. (Mais 3 jours plus tard, les gestionnaires étaient de nouveau à l’attaque), mais surtout la lutte a fait des petits. On compte aujourd’hui 420 hôpitaux en lutte dans toute la France.

Grève à la SNCF

Puis les cheminots sont revenus sur la lutte nationale, largement médiatisée, qui s’est conduite depuis plusieurs mois. La réforme du statut du cheminot n’est qu’un des aspects. Les agents d’escale, chargés de l’accueil et de l’information dans les gares, seront bientôt remplacés par des machines : pour l’usager, il deviendra pratiquement impossible de pouvoir parler à une personne humaine. Les effectifs du fret quant à eux, ont considérablement chuté depuis les années 80, alors même que le transport en train est beaucoup moins polluant (un train équivaut à 55 camions). Le système de la grève perlée a plu à une grande majorité (cheminots et usagers), mais cette lutte par intermittence n’a pas favorisé le débat par petits groupes. Beaucoup de cheminots participant à la grève se retrouvaient absents aux assemblés générales. Depuis, la loi est passée, plusieurs autres décrets sont à venir, et le taux de grévistes est en baisse depuis juillet.

« Le capitaliste ne fabrique pas des bottes pour l’amour des bottes. »

Si les enjeux sont différents du secteur hospitalier au secteur ferroviaire, la logique qui les traverse semble étrangement similaire. Même dans le secteur public, résistants cheminots ou infirmiers sont confrontés au mouvement de l’accumulation capitaliste, accompli par des êtres étrangement semblables, parlant, avec le même ton policé, vêtu des mêmes habits, un même langage abstrait: « impératif financier », « contrainte budgétaire ». A la télévision, on entend leurs condisciples vénérer les mêmes dieux, expliquer « avec pédagogie » et d’un air convaincu pourquoi nous sommes tous plongés dans le même bateau, soumis à des choses aussi « évidentes » que la « loi du marché », « la concurrence » et « l’impératif de croissance ».  Tous ces êtres semblables, ces gestionnaires, se remplacent si bien, qu’on en viendrait presqu’à se demander si leur rouleau compresseur financier, qui dévaste nos vies et anéantit la planète, est vraiment une affaire de personne. On a beau mettre quelques banquiers en prison, cela ne change rien à l’affaire.

« Un monde à gagner »

Alors ce n’est pas un hasard si, militants de la cause sociale rencontraient aujourd’hui ceux de la cause écologique. Les uns et les autres trouvent  en face d’eux les mêmes fous, empêtrés dans leur logique guerrière et fétichiste du  « si on n’avance pas, on recule ». Jusqu’où allons-nous continuer à vouloir faire avec ces inconscients?  Nous ne sommes pas condamnés à mourir de faim à la prochaine crise financière au milieu des montagnes de marchandises. Mais précisément, la rencontre de ce dimanche est un signe de plus qu’il ne faut plus grand-chose, pour que les différentes espèces de militants encore spécialisés, se reconnaissent bientôt comme des militants tout court, et se réunissent entre citoyens responsables, soucieux de leur devenir, prêts à prendre leur destin en main pour construire un nouveau monde.

Louise