24 heures à l’échappée belle féministe ça fuse dans tous les sens !

PaulineAlimentation, Bretagne, Edition 2021, Echappée Belle, Économie, Education

Un programme chargé !

Mercredi matin avec Marine Bruneau, dite Luce, qui a l’habitude d’animer des ateliers et formations sur l’égalité hommes-femmes, notamment en entreprise, nous parlons de collages féministes. Nous la retrouverons le soir pour un débat mouvant* sur la sororité. A midi, nos accueillant·es, les salarié·es et bénévoles de la recyclerie Ribine nous expliquent brièvement leur projet associatif. Les couverts posés et les ventres remplis, c’est le camion de Les p’tites graines qui arrive sur le parking. Christelle, qui nous a vendu le stock de sec pour cuisiner nos repas sur cette échappée, est là pour nous approvisionner avec quelques douceurs en rab et nous parler un peu de son projet.

L’après-midi c’est un des membres du collectif quimperois Thomas Bouloù qui anime une présentation sur les méthodes de contraception masculine, avec même la possibilité de réutiliser des sous vêtements de la recyclerie pour confectionner un slip chauffant* pour celleux qui le souhaitent. Ensuite Laure Bouscasse, de l’asso des Portes Logiques à Quimper nous propose un atelier de démontage d’ordinateur et matériel informatique, et ce en non-mixité*. 

Enfin, le lendemain matin, avant de prendre la route pour Douarnenez, nous serons accueillies pour le petit déjeuner au Bistrot du Tréhou. Le couple de gérants, Muriel et Claude, accompagné de Joe, maire de la commune, nous offrent le café et nous expliquent l’envie de faire vivre cette grande salle de restaurant de manière associative, en mettant en avant les produits locaux.

Les collages féministes

Luce nous explique que le but des collages est de se réapproprier l’espace public en utilisant des phrases courtes et choc. Se réapproprier parce que la rue de nuit n’est pas, de base, un endroit où une femme se sent en sécurité. Y aller en groupe permet de retrouver sa capacité à exister et se déplacer dans cet espace.

Les collages se font dans la rue pour obliger les gens à le voir : ce n’est pas comme une publication en ligne, sur les réseaux sociaux, qui sera restreinte à un certain entre soi militant. Dans la rue, c’est tout un chacun qui se retrouve interpellé. Oui les collages sont vite arrachés, leur durée de vie est courte, mais tant qu’ils sont affichés, ils touchent une large audience.

A l’origine du mouvement, le contenu des phrases collées portait sur les féminicides, mais il s’est depuis ouvert et peut porter sur une grande variété de thématiques. Luce nous parle d’un collage récent qui évoquait le traitement des victimes de viol dans la machine judiciaire, les longueurs de procédures et le manque de moyens rajoutant une deuxième violence à endurer pour ces victimes. Les collages peuvent aussi se faire en lien avec l’actualité : des projets de loi, des injustices, des débats ayant lieu dans les médias.

Après ces explications nous discutons entre nous de notre expérience des collages, vus là où nous vivons. Une de nous explique avoir croisé un jour le collage « Papa a tué Maman » alors qu’elle était en ville avec son fils de neuf ans, elle s’est senti en colère et piégée par celleux qui avait affiché ce message. Elle dit que la ville et l’espace public contiennent déjà énormément de violences visibles et perceptibles par les enfants, et qu’elle n’a pas envie qu’en plus, son fils reçoive ce type de message, de devoir lui expliquer le pourquoi d’un tel collage. On discute entre nous aussi de cette question de la violence : est-ce qu’au fond elle se trouve dans le message, ou est-ce que la violence réside dans les actes sexistes dont on est victime, et dont on témoigne ? On se pose également la question de la pertinence des collages selon le lieu : est ce que ça a du sens dans un lieu où on n’habite pas, où on est seulement de passage ? Est-ce qu’on peut coller en milieu rural comme on colle en ville ?

Après ces questionnements nous discutons de thèmes possibles : une de nous soulève un point qui nous touche particulièrement comme participantes de ce voyage à vélo : le fait que les femmes n’ont pu accéder au statut de professionnelles dans le cyclisme qu’en 2021 en France ! Toujours autour du vélo, est proposé le slogan du MLF (mouvement de libération des femmes) : « une femme a autant besoin d’un homme qu’un poisson rouge d’une bicyclette ». De manière moins légère, on évoque ensuite les chiffres liés à la pédocriminalité puis les effets de la domination patriarcale sur différents domaines : la répartition des tâches au quotidien, l’accès aux terres, aux ressources et à la reconnaissance dans les milieux agricoles ou la parité dans différents corps de métiers.

Au final, au cours du déjeuner sortira comme une fulgurance ce jeu de mots qui aura l’approbation de toutes : « IL SE SENT SÛR. ELLE SE CENSURE », même si en bonnes citoyennes respectueuses de la légalité que nous sommes, nous n’irons le placarder sur aucun mur.

La recyclerie Ribine

La recyclerie est installée ici en pays de Daoulas depuis 5 ans. Elle réunit trois salarié·es à plein temps, autant de jeunes en service civique et une trentaine de bénévoles qui se partagent les missions de tri des dons, d’accueil, de vente et tout l’aspect administratif. Nous avons été témoins de leur popularité, dès 14 heures ce mercredi, le ballet des voitures s’enchaîne sur le parking et les visiteureuses viennent déposer les objets dont iels n’ont plus usage, et chercher de nouveaux trésors. Nous avons aussi eu l’occasion de fouiner dans leurs allées et chacune a pu faire de sacrées trouvailles : un énorme gorille en peluche qui nous tient compagnie lorsqu’on bavarde sur les canapés, un tupperware pour emporter notre pique-nique, un livre de contes, un petit sac à dos, des polaires, bonnets, collants et autres vestons en fourrure pour affronter la fraiche nuit bretonne… encore heureux qu’on n’aie que l’espace de nos sacoches sinon on les aurait dévalisé !

C’est une recyclerie classique : iels récoltent des objets donnés, les trient, les réparent dans la mesure du possible et les vendent. En plus de la récup’, des ateliers sont proposés: réparation vélo, transformation d’objets en luminaire, couture, cuisine… c’est selon les propositions et envies des participant·es.

L’association ambitionne de trouver de nouveaux locaux plus vastes et de devenir un espace de vie social agréé par la CAF du Finistère pour proposer plus d’animations et toucher un plus large public.

Les p’tites graines

Christelle s’est lancée sur la route dans son camion il y a deux ans. Agricultrice, elle vendait sa production sur les marchés et avait constaté l’absence d’offre en sec pour complémenter les produits frais proposés sur ces lieux. Au moment où elle cherchait à se réorienter, elle s’est lancé pour combler ce vide. La commerçante n’est pas la seule à avoir perçu là un besoin à combler, de nombreuses initiatives similaires sont apparues dans d’autres villes à travers la France.

Christelle admet que le démarrage de son activité a été dur : jusqu’à 70 heures de travail hebdomadaire la première année sans pouvoir se sortir un salaire. Mais elle relativise : venant du milieu agricole, elle travaillait encore plus avant sa reconversion et maintenant que son activité est bien lancée, elle se dégage un SMIC et a pu engager une employée à temps plein. Les deux femmes circulent sur les marchés de producteurs et de plein air et répondent à des commandes en ligne.

Son étalage est alléchant ! L’organisation rappelle un peu, les altercyclistes auront la référence, celle de l’Iveco, où les étagères sont prévues pour pouvoir supporter leur charge de nourriture, et surtout, pour que rien ne tombe ou ne se casse lorsque le camion est en route ! Des bocaux en verre et des casiers en plexiglas de toute taille sont fixés au mur du fond et à l’étal qui s’ouvre sur le côté. Il y a des bouteilles de bière locale aux belles étiquettes, toutes sortes de thé, de légumineuses et de céréales. Mille gourmandises nous tentent : pommes, ananas ou bananes séchées, gingembre confit ou enrobé de chocolat, caramel au beurre salé, guimauve, chocolat en palets ou tablette. Aussi parfumés mais non comestibles, dans une boite en bois est présentée une sélection de savons et shampooing en barre de la marque Be Cosmetics, savonnerie artisanale dans les Monts d’Arrées.

Vue éclatée avec les Portes Logiques

A l’atelier de démontage, nous attendent sur la table des PC, scanners, unités centrales, disques dure, des écrans… ainsi qu’une foule de tournevis de toutes tailles. Tout ce matériel est hors d’usage, pour que nous n’ayons pas, en démontant, peur de devoir tout préserver soigneusement pour le remonter ensuite. Le but est l’exploration, l’essai, prendre les outils en main et démystifier ces machines.

Laure nous explique que les composants de ce matériel informatique peuvent être récupérés pour être réutilisés dans d’autres projets. Aimants, boutons, miroirs, hauts-parleurs, ventilateurs, petit moteur… autant de pièces détachées qui pourront resservir dans un projet futur. Pour construire peut-être une table de dessin lumineuse ou la porte automatique d’un poulailler : la seule limite pour ce recyclage est celle de notre imagination. Il y a quand même des hésitations dans notre groupe : pour savoir quelles pièces démonter et en quoi les transformer, il faut avoir accumulé une certaine connaissance technique. Ces appareils high-tech sont très compacts et dans ce labyrinthe de pièces, il est difficile d’identifier ce que sont les composants et quel est leur usage.

Avant de nous lancer à l’assaut des machines, Laure nous parle de la rencontre des thématiques numériques et féministes. Il y a déjà la question de l’accès à des ateliers en non mixité, pour aider les femmes à être actives dans les espaces liés aux ordinateurs et au numérique, bien qu’elles aient été sociabilisées comme n’y ayant pas leur place. Se pose aussi la question de la place des femmes en ligne. Elle nous montre un article de la revue Panthère première (disponible en ligne ici https://pantherepremiere.org/texte/pas-dinternet-feministe-sans-serveurs-feministes/) qui décrit la problématique des serveurs et de la possible censure de contenu sensible, notamment féministe, par les hébergeurs. Laure évoque aussi la plateforme collaborative Wikipedia qui est loin d’être paritaire, tant au niveau de ceux et celles qui contribuent à l’alimenter,que celles et ceux à qui des pages sont dédiées.

Avant de nous mettre à l’ouvrage, notre animatrice nous encourage : il faut laisser de côté la peur de casser et se dire qu’en informatique ce qui compte ce n’est pas de tout savoir. Dans les technologies et sur le net, tout bouge tout le temps alors ce qui compte c’est d’être capable de suivre une méthode et de savoir chercher l’information. Le secret, c’est d’apprendre à apprendre ! De nombreuses ressources existent dans le numérique libre, pour documenter, diffuser et partager l’information et la rendre accessible. Par exemple le site https://fr.ifixit.com/donne accès à des tutoriels de réparation et celui de https://www.instructables.com/ propose des modèles de création d’objet.

Après un long moment de bidouille, de dévissage les mains dans les carcasses métalliques, on n’a pas l’impression d’avoir vécu une révélation technologique parce qu’en débutantes, on n’a pas trop idées de ce que sont la moitié des particules démantelées, ni de ce qu’on pourrait fabriquer avec… mais c’est déjà un petit pas pour s’approprier les outils et se dire qu’on est capable de bricoler !

*Un débat mouvant est un moyen d’organiser une discussion dans l’espace : l’animateurice propose des affirmations volontairement clivantes, les participant·es se placent dans l’espace (par exemple à gauche si on est très d’accord, à droite si on ne l’est pas du tout). Iels sont ensuite invité·es à expliquer leur positionnement, il est possible de se déplacer si on est convaincu par les arguments des autres.

*Le slip chauffant, aussi connu sous le doux nom de remonte-couilles toulousain, est une méthode de contraception masculine, si votre curiosité est piquée, le très cool blog dessiné de Bobika développe bien le sujet.

*Faire des ateliers en non mixité, c’est à dire uniquement entre femmes, nous explique Laure, est pertinent dans les fab-lab (lieu ouvert au public où sont mis à disposition toutes sortes d’outils, notamment des machines-outils pilotées par ordinateur, pour la conception et la réalisation d’objets). En effet, il peut être dur pour un public féminin, peu encouragé d’habitude à s’investir dans ce domaine, d’y avoir accès et de s’y sentir à l’aise pour faire. Le but est d’avoir l’opportunité d’abord de s’essayer au démontage sans l’intervention d’hommes qui « sauraient mieux » ou qui feraient à la place de, pour pouvoir ensuite se sentir en confiance pour bricoler et aller dans des espaces de fabrication ouverts à toustes.