Mercredi 30 juillet: Auprès d’Idylle

Clément BarilÉdition 2025, Agriculture, Alimentation, Occitanie

Après une incroyable grasse mat jusqu’à 7h15, les altercyclistes se réveillent au son des Corons de Bachelet sur le stade de foot (et d’ultimate Frisbee) de Verfeil-sur-Seye. Aujourd’hui on ne déplie pas les tentes mais on roule : direction Caylus à la ferme Auprès d’Idylle chez Claire et Nicolas, Idylle du nom de feu leur jument de traite d’une belle tonne, décédée récemment à l’âge respectable de 30 ans. La route est courte mais bien vallonée, en tant que serre file j’encourage les enfants descendus de leur vélo pour le pousser dans les côtes les plus raides.

Auprès d’Idylle est l’une des deux seules fermes d’Occitanie labellisées à la FNAB, Fédération Nationale de l’Agriculture Biologique, qui respecte et va plus loin que le cahier des charges AB (par exemple l’ivermectine, un vermifuge pour les brebis, n’est pas autorisée sauf en cas d’urgence). Elle s’étend sur 16 ha dont 8 sont encore en friche. Quand Claire et Nicolas l’ont récupérée en 2019 elle n’était plus en exploitation depuis 1962, c’est donc elleux qui ont tout rénové et défriché.

Une salariée à mi-temps aide Nicolas sur la ferme, Claire, elle, travaille à l’extérieur et donne des coups de main dès qu’elle peut.

Les altercyclistes se sont divisé·es en 2 groupes, l’un donnant un coup de main pour défricher une parcelle en pente sur laquelle les machines ne peuvent pas passer et qui est couverte de pruneliers, une plante invasive et pleine d’épines. A terme des oliviers, pommiers et châtaigniers seront plantés sur cette parcelle. 

Atelier défrichage de pruneliers sur la ferme Auprès d’Idylle (crédit : Bruno Clémentin)

L’autre groupe aura le droit à une visite complète de la ferme et de nombreuses explications sur son fonctionnement. La ferme comprend 2 activités principales :

– de l’élevage de brebis allaitantes pour faire de la viande d’agneaux 

– de l’élevage de porcs (Nicolas est à la fois naisseur et engraisseur)

Le troupeau comprend 150 brebis mères qui ne sont pas en permanence sur la ferme et sont envoyées en pâturage sur diverses parcelles publiques des communes avoisinantes pour compléter les recettes de la ferme (cet éco-pâturage représente aujourd’hui la moitié des revenus de la ferme) mais aussi l’alimentation des bêtes pour laquelle les 8ha de la ferme sont insuffisants. Quatre béliers reproducteurs, remplacés tous les 3 ans pour éviter la consanguinité, et des agneaux sont également présent·es ainsi que 3 chiens de protection, des Patous (Sigy, Voyou – un jeune Patou – et Bella, une croisée Patou et Kangal) et des chiens guides de troupeau (des Borders Coly). Les chiens de protection protègent aussi bien des prédateurs (renards, loups, blaireaux et buses), que des sangliers qui peuvent transmettre une maladie très grave aux porcs, la maladie d’Aujeszky qui se transmet par simple contact salivaire, groin à groin par exemple (si un porc est contaminé il faut abattre tout le troupeau car la maladie est très contagieuse et peut se transmettre aux humain), ou encore des intrusions humaines. La laine n’est pas valorisée économiquement, il n’y a pas de filière en France – des initiatives existent mais trop petites pour pouvoir écouler tout le stock de laine du coin, elle est donc valorisée directement sur la ferme pour l’isolation de la cabane des cochons ou autres usages internes.

Nicolas, Sigy le patou et 2 brebis  (crédit : Anne Chaumillon)

Concernant l’élevage de porcs, Nicolas a aujourd’hui 4 parcs, 1 parc pour les truies grosses ou non encore engrossées, 1 parc reproducteur pour les verrats, 1 pour la truie qui allaite ses porcelets et 1 pour les porcelets sevrés. Les truies mettent bas au bout de 3 mois 3 semaines et 3 jours de gestation, une portée d’une dizaines de porcelets dont certain meurent écrasés par la mère à leur naissance. Les porcelets sont sevrés à 6 semaines, soit proches du sevrage naturel, contre 4 en conventionnel avec dans ce cas un risque de mort prématuré. Ici, les porcelets ne sont pas castrés et leur queue n’est pas coupée (elle l’est en conventionnel car les porcelets enfermés s’ennuient sans espace de jeu et finissent par se mordre la queue les uns les autres). Sans castration, cela évite aussi de leur donner des antibiotiques, nécessaires en cas d’acte chirurgical. Les porcelets sont envoyés à l’abattoir vers 9 mois (ils font alors un peu moins de 120 kg), avant leur puberté, car alors les mâles prennent une odeur très forte.

Les agneaux eux sont vendus à 20€/kg pour par colis (un agneau permet de faire deux colis), tout est écoulé en vente direct avec une liste d’attente pour des futurs clients. Plusieurs imams ont contacté la ferme qui a déjà vendu des colis pour l’Aïd, avec par contre la demande que les bêtes soient tuées à l’abattoir (la tradition, de moins en moins respectée, étant d’égorger le mouton dans la baignoire).

Nicolas et 2 porcelets sevrés  (crédit : Anne Chaumillon)

Comme sur toute ferme des travaux et investissements sont sans cesse réalisés. Une grande maison qui était à l’abandon est en cours de réhabilitation. Nicolas a également investi dans une bergerie, livrée en décembre dernier, pour pouvoir mettre les brebis au chaud l’hiver mais aussi protéger le matériel et surtout le foin. La réflexion en cours concerne l’achat de silos et sans doute d’un camion pour l’approvisionnement en céréales locales pour nourrir les bêtes à la place des granulés aujourd’hui achetés dans l’Aude et produits à partir de céréales venant de tout le sud-ouest. La difficulté est que les producteurs du coin ne peuvent pas livrer, il faudra donc que Nicolas y aille lui même en camion pour ramener les céréales et les mettre dans le silo.

En 2023, la ferme a été touchée par la Fièvre Catarrhale Ovine (FCO) également appelée maladie de la langue bleue qui tue une brebis contaminée en 48 à 72h et qui est causée par un moucheron (c’est une maladie non contagieuse qui ne nécessite pas d’abattre le troupeau quand une bête est contaminée). 40 agneaux et 15 brebis sont mortes de cette maladie et le chiffre d’affaires de la ferme a alors chuté de 40%. L’éco-pâturage et l’élevage de porcs permet ainsi de diversifier l’économie de la ferme. Outre les chiens qui protègent des sangliers, les normes biosécuritaires imposent de clôturer toute la ferme pour prévenir un maximum de contamination, comme la maladie de Tchevsky mentionnée plus haut et qui se propage par simple contact, il est demandé 2 clôtures électriques distantes de plus de 50 cm avec un grillage entre les deux. Malheureusement, en période de chaleur des truies ou lorsqu’ils sont pourchassés par des chiens de chasse, cela ne suffit pas à empêcher l’intrusion des sangliers (d’où les chiens de protection). Un sas sanitaire est également exigé, pour enlever les vêtements et chaussures avant d’entrer dans l’enclos des porcs afin d’empêcher toute contamination.

Nous avons eu un échange riche sur ces normes, drastiques et extrêmement difficiles à respecter pour un petit éleveur qui fait du plein air et qui sont souvent la réponse à des cas de contamination par des éleveurs, voire des particuliers qui ne jouent pas le jeu. Ainsi Claire et Nicolas nous ont parlé de leur voisine retraitée qui veut « sauver » des brebis, des chèvres et des porcs sans les déclarer et qui ne mettaient initialement pas de clôture et ne vaccinaient pas les animaux recueillis ce qui risquait d’entraîner la contamination de tout le troupeau de la ferme Auprès d’Idylle. Après un échange, elle a toutefois compris et accepté la nécessité de mettre ces clôtures.

La présence des chiens de protection a également été l’occasion de nous apprendre la bonne posture à adopter en randonnée quand on croise un troupeau protégé par ce type de chiens, l’idée étant de ne pas être agressif, de les laisser nous approcher pour nous renifler, de leur parler calmement et de reculer si nécessaire en laissant bien les bras le long du corps. Nicolas nous a même conseillé de renoncer à continuer son chemin plutôt que de forcer le passage…

Comme souvent quand on passe par des fermes avec des paysans et notamment des éleveurs ou éleveuses passionné·es, je suis frappé par l’étendu de sa connaissance, une connaissance toujours confrontée au terrain et au vivant, qui aboutit à une posture de compromis entre de multiples injonctions parfois difficilement conciliables (faire de la qualité tout en étant rentable, donner une vie la plus heureuse possible à ses bêtes et passer le plus de temps possibles avec elles mais pour finalement les faire abattre pour pouvoir gagner sa vie, se protéger des prédateurs mais accepter leur présence etc.).

Nous finissons cette belle journée par un saut au village de Verfeil où la ludothèque, le café associative et le marché de producteurs sont ouverts tous les mercredi avant de revenir au campement pour le briefing et le repas et pour nous faire belles et beaux, autant que faire se peut dans les conditions de l’altertour, pour le bal folk organisé au village…

alterjournaliste : Vincent Krakowski