L’essence des plantes, chez Christophe

MathieuAgriculture, Édition 2014, Nouvelle-Aquitaine

Lorsqu’on a demandé à Christophe d’accueillir l’Alter Tour sur une étape, il a dit oui. Tout de suite. Nous ne le connaissions pas ; c’est ce petit texte déniché sur le net qui nous avait mis la puce à l’oreille : « Christophe Boyon est paysan, cultivateur et ramasseur de plantes médicinales. Près de Lamazière Basse, en Corrèze, ou il s’est installé en 2009, il cultive du thym, de la lavande et une très bonne camomille romaine. Ces terres non polluées, à l’abri de toutes industries se prêtent à la culture de ces plantes de plus en plus recherchées par les particuliers, mais aussi par les laboratoires de transformation. Christophe travaille dans une direction précise, et veut se centrer sur une production locale pour les gens d’ici. Il cultive le plus possible en traction animale et se situe dans une perspective d’auto-suffisance qui n’exclut ni l’échange, ni le commerce, ni un certain développement. L’essentiel étant, pour Christophe, le respect de la nature. »

Il est 19h ce 25 juillet 2014, il bruine sur la ferme du Chaudron des Bordes et Christophe emmène notre groupe dans son jardin. Certains alter-cyclistes trainent un peu la patte, fatigués des 50 km du jour. Nous étions curieux de rencontrer Christophe. Au téléphone, on imaginait un loup solitaire pas très bavard et on s’était préparé à lui tirer les vers du nez. Mais dès qu’il a commencé à nous raconter… on a échangé un petit sourire complice avec Mathieu comme pour s’avouer qu’on s’était planté. Et un peu fier de l’avoir trouvé ce Christophe.

« Pas une plante, pas un arbre, n’est là sans raison. », commence-t-il. Toutes les plantes n’ont pas les mêmes fonctions. Il y en a qui servent à décompacter le sol, le rhumex par exemple qui a des racines jusqu’à 50 cm en profondeur. On dit des plantes qu’elles sont bio-indicatrices parce qu’elles servent à donner un état des lieux du sol. Alors le meilleur moyen pour dépolluer un sol ? Cultiver des plantes ! Les orties, le tournesol sont parfaites pour cela, la pollution se charge dans la graine et puis lorsque le sol est dépollué, alors ces plantes disparaissent et laissent la place à
d’autres. Christophe nous arrête en plein milieu du chemin : « Tenez ce plantain, il est là justement parce que c’est un lieu où l’on marche. Il est bio-indicateur d’un sol tassé. » Et que fait cet autre plantain sur le bord de la route alors? « Et bien ce n’est pas la même variété. ».

« Mon projet est de favoriser la vie dans le sol, de multiplier les cellules dans le sol et cultiver le vivant ». Mais Christophe est aussi ramasseur. Voici une haie champêtre : C’est là où l’on trouve la plus grande biodiversité. Il nous montre : L’aubépine, plante calmante. Le frêne, dépurative, elle élimine les toxines. La carotte sauvage qui régénère le foie. A ne pas confondre avec la cigüe. Si ça sent la carotte, c’est de la cigüe. Si ça ne sent pas la carotte, c’est de la carotte ! Et le mille pertuis : En tisane, elle lutte contre la dépression. Laisser macérer dans l’huile d’olive, puis sécher au soleil 40 jours. Malheureusement elle a été interdite, elle fait concurrence au Prosac ! Pour le dosage, c’est facile, prendre une pincée avec ses 3 doigts, cela correspond à une tasse. Une tisane par jour, pendant 21 jours. Parce que 21 jours, c’est le temps qu’il faut pour renouveler une cellule. Cela marche aussi en décoction. Enfin vous pouvez aussi prendre le millepertuis en gélule en parapharmacie : ça c’est pour l’effet placebo !
Son métier à Christophe, c’est de faire de l’huile essentielle, c’est-à-dire recueillir l’essence des plantes.

Alors je me demande, l’essence d’une plante ? Quand même, ce n’est pas rien. Mais où est-elle l’essence, dans une plante ? Ce n’est pas la sève, ce n’est pas la graine, ce n’est pas l’ADN, c’est l’essence… Christophe nous explique : chez les plantes, elle peut se trouver dans la fleur, dans la feuille, dans le fruit, ou encore dans la racine. Et c’est quoi l’essence d’un humain ? oserais-je lui demander plus tard. « Oh il ne doit pas y avoir grand-chose », me répondra-t-il.

Est-ce que vous avez de l’huile essentielle de ravintsara ? demande un participant qui a l’air de s’y connaître. « Non ! C’est une plante exotique. Pour soigner le rhume, il existe des alternatives locales au ravintsara comme l’origan ou le thym. Comme dit le dicton : « ce qui soigne la terre devant chez nous, nous soigne aussi. »

Est-ce que tes plantes tombent malades ? « Pas vraiment. Mais si cela devait arriver, je soignerai mes plantes… par les plantes. ». Christophe est un passionné, mais pas un ayatollah : Ce n’est pas avec les huiles essentielles que vous allez soigner un cancer, me confiera-t-il. Pour autant quand il plante, il n’est jamais sûr du résultat : « Il faut apprendre la frustration dans les plantes. L’année dernière j’ai planté de la monarde, les chevreuils sont passés et ont tout mangé. Maintenant quand une bête s’approche un peu trop prêt, on l’a flingue, c’est comme ça. »

Pour récolter l’essence des plantes, Christophe va régulièrement en Haute Loire accomplir l’étape « essentielle » pour faire de l’huile : la distillation. La distillation n’est pas un processus de transformation, c’est un processus d’extraction, par lequel on injecte de la vapeur. Il faut 100 kg de lavande pour produire 1L d’huile essentielle. Et pour obtenir l’équivalent en huile essentielle mélisse, il en faut 8 tonnes ! C’est cette différence de rendement entre les plantes qui explique la différence de prix. Chez Christophe, les flacons d’huiles essentielles se vendent de 5 à 30€.

Le produit de la distillation, c’est aussi les « eaux florales » : cette eau imprégnée de cette vapeur passée par la plante et qui contient dans de proportions plus faibles les mêmes propriétés que les huiles essentielles. Les premiers alambiques datent de 5000 ans en Mésopotamie. A l’époque, on jetait les huiles et on ne conservait que les eaux florales. Il y a 15 ans de ça, c’était l’inverse. Aujourd’hui, on conserve les deux.

Autrefois, il y avait un diplôme, celui d’herboriste. Les pharmaciens avaient tous une formation sur les plantes. C’est sous Pétain que le diplôme a été interdit. Et depuis, les lois n’ont pas évolué. J’aurais bien voulu savoir ce qui s’est passé exactement mais cette fois-ci, je n’ai pas eu la réponse.
Quelles sont les indispensables à avoir dans sa trousse à pharmacie? Christophe nous conseille :
1) « Un anti-infectieux : de l’origan ou du thym par exemple
2) Contre les troubles respiratoires, choisissez du sapin ou un autre résineux
3) Mais surtout, prenez de la lavande officinale. C’est la plante des 1ers secours, celle qu’il faut avoir dans sa trousse à pharmacie, à utiliser dès qu’on a un début de maladie. Elle est aussi calmante et régule la tension. Mais aussi contre les piqures, coupures, brulure en cataplasme, c’est à dire en appliquant la plante directement sur la peau. »

Ne confondez pas la lavande officinale avec le lavandin, qui elle, ne sert que pour la machine à laver ou parfumer les toilettes ! Dans vos achats, vérifiez au moins qu’il y a le nom latin sur le flacon !
« Gardez bien les huiles 10 à 15 secondes en bouche car la digestion commence par la bouche avec la salive. Et il y a des huiles comme le thym qui ne fonctionnent pas en usage externe, comme la cannelle, la sarriette, l’origan de Grèce, elle ronge la peau.

Ensuite, si on fait des cures trop longues ça peut fatiguer le foie. Et si on surdose, on peut avoir un effet complètement différent. Avec 15 gouttes d’huiles essentielles de thym, on peut finir à l’hôpital. De toute façon, avec les plantes toxiques, on ne se trompe qu’une seule fois… »

Christophe s’est reconverti il y a 9 ans. Après un stage dans le domaine puis une formation en Haute Loire, aujourd’hui c’est lui qui forme des stagiaires mais aussi Delphine son amoureuse. Christophe a fait le choix de la traction animale, parce qu’à la tondeuse, ce n’est pas la même qualité. Ce qui se fait en une semaine avec un tracteur se fait en 2 demi-journées avec un âne. La mécanique oblige d’être l’industrialisation. « J’ai fait le choix de la diversité de produits et d’être prêt des gens. Et puis un tracteur qui obéit à la voix, qui se reproduit, qui fait de l’engrais, cela n’existe pas »

Le maire de Lamaziere-Basse s’arrête devant la ferme du Chaudron pour faire un coucou. Pourtant quand Christophe s’est installé, au début on le regardait bizarrement. Il y a une énorme pression foncière. Lorsqu’un paysan part à la retraite, les deux tiers de sa terre sont revendus à des agriculteurs pour agrandir leur terre. « Quand je me suis installé avec mes 10 brebis et mon âne, les voisins m’ont bien fait comprendre qu’avec leur 150 hectares… Mais avec le temps, on fait son trou. »

Christophe Boyon
Ferme « Le Chaudron des Bordes »
Plantes aromatiques et médicinales à Lamazière Basse
05 55 95 80 79 / 06 89 84 20 22
lechaudrondesbordes@gmail.com http://www.lechaudrondesbordes.fr/

Alter-journaliste : Vincent
Alter-photographe : Yome Alter-étape organisée par « le tronçon du bonheur » (Tifenn, Mathieu, Vincent)