De Saint Die à Strasbourg : 302 km d’enthousiasme

AlterTourÉdition 2018, Grand Est

Journal publié sur le site de Roues libérées, une asso pour partager l’amour du voyage à vélo !

10 jours de voyage avec Super Vélo

Je m’étais promis de faire un journal quotidien. Mais l’AlterTour est une aventure collective dans laquelle le vélo est un moyen au service d’une finalité plus vaste: inspirer, collaborer, créer du lien entre nous et les acteurs d’un monde plus écologique, plus solidaire et plus coopératif. Si bien que chaque jour ces rencontres me laissaient plus songeuse que mon vélo. Ces rencontres avec des personnes partageant mes valeurs et les mettant en pratique m’ont donc conduit a délaisser mon écran au bénéfice du partage de moments riches dans la réalité. Voici maintenant un aperçu de ce voyage, qui illustre le potentiel de Transition individuelle et collective de SuperVélo :


Un mot sur l’esprit AlterTour : solidarité, bienveillance, joie, théâtre ou chants improvisés, réveils chantés quotidiens, rotation des responsabilités et implication de chacun à tour de rôle dans tous les aspects de le mise en oeuvre du Tour: cuisine, vaisselle, entretien des sanitaires mobiles, conduite du camion transportant les affaires, assurer la sécurité et guider l’équipe, rôle que nous fait découvrir Jean Robin en chanson :

 

Lecteur audio

 

En moyenne nous avons parcouru en vélo 40 km par jour, avec le dénivelé (1000m le 16/08!) allant avec le profil de la région (Vosges – Alsace). Grâce à l’assistance électrique j’étais souvent dans le peloton de tête lors des montées! Mais dans les descentes, l’instabilité du stricker m’obligeait à plus de prudence: elle a occasionnée 3 chutes, heureusement responsables de seulement quelques égratignures. A chaque fois plusieurs AlterCopains sont immédiatement venus pour relever le vélo et me remettre en selle.

Tour d’horizon

Les accueillants sont choisis au cours de l’année scolaire pour la qualité de leur mise en oeuvre des valeurs auxquelles nous croyons: écologie, solidarité, collaboration, créativité… Je vais en faire une présentation succinte :

A Saint Dié, la coopération lance l’aventure !

J’arrive d’abord a Ecolline, écovillage autoconstruit ou nous installons le campement. Bel ensemble de maisons mitoyennes en bois pour minimiser les pertes de chaleur, Ecolline est un éco-lieu en auto-promotion d’habitat groupé, composé de maisons bioclimatiques basse consommation. Il est pensé et élaboré par plusieurs familles de Lorraine autour d’une charte de valeurs et d’un lieu superbe. A coté G’House est un habitat partagé en cours d’ éco-construction. Un chantier participatif permet aux altercyclistes d’apprendre tout en mettant la main à l’enduit dans la bonne humeur. Ici les habitants collaborent sur la voie de la sobriété heureuse.

Le lendemain je fais partie du groupe qui visite l’école Montessori des Souris Vertes. Elle éduque jusqu’au collège en appliquant les principes d’une pédagogie bienveillante qui aiguise et nourrit la curiosité de l’enfant, favorisant la découverte dans la joie, la confiance en soi et l’esprit critique.

L’après midi le stricker boycotte l’effort imminent en refusant de s’allumer. Bien sûr, un 15 Aout. Mais je commence à les connaitre les caprices de la bécane: avec Anaël et Yves nous cherchons l’origine du court circuit. Justement Yves habitant d’Ecolline est électronicien et Anael une expérience solide de géo – trouvetou! Je passe  par des états très inconfortables (m’apprêter à renoncer, envisager de revenir à 800 km sans même avoir participé à cette aventure qui s’annonçait merveilleuse) … jusqu’a ce que nous trouvions le fil coupable. Un domino est installé et… Victoire, c’est réparé ! Grâce à Anaël et Yves, l’Aventure continue!

Le soir, les altercyclistes présentent une soirée théâtre. Entre autre une pièce mettant en scène l’adoption dans son jardin d’un petit fut de déchets nucléaires rapporté d’une précédente étape, Bure: éclats de rire dans tous les sens !

   

Des étoiles pour la dignité

Le lendemain, grosse rando d’environ 45km avec 1000m de dénivellé positif pour arriver au Domaine de Beubois, projet combinant un grand restaurant animé par un chef étoilé, des gîtes, une chaufferie permettant l’entretien des forêts environnantes, boulangerie qui emploie des personnes en situation de handicap mental et permet à d’autres, ne pouvant rejoindre le milieu professionnel habituel de trouver un cadre bienveillant dans lequel ils peuvent mettre leurs compétences au service de la société. Ici on a une certaine idée de la dignité humaine: le site est superbe, les logements en bois local sont beaux, bien isolés donc énergétiquement passifs, les sources d’énergie renouvelables (panneaux solaire, éolienne) malgré une grande surface vitrée, la gouvernance participative…

Créer pour des idées

Le lendemain nous obliquons plein sud pour rejoindre la très belle vallee de Wesserling où nous accueille le collectif « Art des Possibles » . Ils  font revivre un ancien site industriel d’extraction de charbon. Plasticiens, poètes, sculpteurs, circassiens, musiciens ont créé leurs ateliers dans cette ancienne friche, sauvegardant un patrimoine industriel et un beau jardin témoins des tentatives passées de combiner les intérêts de l’employeur et de l’employé, productivité et optimisation du cadre de vie de tous. Ici l’art est vécu comme un moyen d’exprimer des idées, de participer à des combats pour la justice, de défendre des valeurs humaines.

Le soir mes compagnons altercyclistes me montent sur leur dos dans un château d’eau désaffecté à l’acoustique merveilleuse pour participer à un concert improvisé: violoncelle par Lily puis chant choral (Marine , Juan Fe…) . Ouaou… La Beauté née du hasard des rencontres entre un château d’eau, un instrument, les voix harmonieuses de coeurs immenses!

Vélorution à Mulhouse

Vendredi nous traversons Mulhouse en « vélorution » (ensemble de 60 cyclistes soudés comme un camion) en scandant des slogans improvisés comme « LI-BEREZ-LES-PIETONS-ENFERMES-DANS-LES- VOIT-URES!  » ou « LA-VOITURE-C’EST- LA-LOOSE-TOUS-EN-VELO-A-MULHOUSE! »… C’est bon de découvrir encore un moyen de s’amuser en vélo!) Puis nous  pédalons jusqu’au jardin de Manspach que le maraîcher conduit en accord avec la nature et en menant un cheval de Trait Comtois pour la traction animale. Je suis épuisée d’une part par mes contraintes logistiques pour suivre le rythme sportif, mais surtout par la joie de découvrir tant de si belles personnes et l’envie de partager la moindre minute avec eux. Ici à Manspach je m’accorde donc une journee repos en dormant tout l’après midi.

A Kingersheim et Ungersheim, on se bouge pour la transition !

Samedi nous remontons 32 km vers le Nord en direction de Kingersheim. Les 7 copains à la base de l’association « Les Sheds » ont participé à fédérer les citoyens d’une friche industrielle en faisant de cette ex-usine textile un lieu de vie convivial. Potager pédagogique, épicerie bio, marché de producteurs, événements culturels et artistiques  (exposition de peinture, création de mobilier atypique, espace de débats… ). Le soir, le maire de la ville nous accueille pour un débat sur la démocratie participative qu’il introduit par un looong discours plein de belles phrases sur la transition écologique et sociale dans laquelle le village est engagé depuis 30 ans. J’en retiens qu’il exprime combien l’individualisme – dont je suis aussi une victime, encore inconsciente jusqu’à peu – nous rend étranger à nous même et étranger aux autres. Et combien la dictature de l’immédiat et de l’opinion est à l’opposé des valeurs de la Transition portées par une démocratie lente participative.

Dimanche matin au sein de l’AlterTour, un cercle de parole nous permet d’exprimer nos ressentis sur notre organisation pratiques ainsi que les thèmes des prochains ateliers ou groupes de réflexions que les volontaires souhaitent animer. Notre façon de nous organiser incarne les valeurs de responsabilité individuelle, d’harmonie et de coopération que nous portons. Et nous verbalisons que la frugalité est un pas vers la sobriété heureuse vers laquelle nous tendons.

Puis nous pédalons vers  Ungersheim, village célèbre pour la diversité des actions pour la transition. A l’arrivée un lac nous inspire la baignade, mais sa berge cahotique m’empêche de le rejoindre avec mon fauteuil. Voyant aussitôt la frustration que cela pourrait générer chez moi, l’équipe propose sans que je ne le demande de me porter pour la mise à l’eau. J’y savoure une eau chauffée par un mois d’aout caniculaire, et la joie d’altercopains magnifiques, que la générosité rend irrésistibles!

Le lendemain nous découvrons avec son maire le village d’Ungersheim et tentons d’en appréhender la richesse. Démocratie participative, monnaie locale, isolation des bâtiments, centrale photovoltaique et éolienne permettant de réduire de 20% de la consommation énergétique communale, jardins de Cocagne, paysan-boulanger, régie agricole communale employant un maraicher en biodynamie, conserverie municipale, visite d’un éco-quartier, commune 0 pesticides depusi 2006 … Le village impressionne par la richesse de ses initiatives.

Biodynamie et nouvelle pédagogie

Mardi nous pédalons jusqu’au vignoble Klur, petit vignoble d’Alsace cultivé en biodynamie. Après une explication nous dégustons un crémant naturel sans aucun conservateur: le jus de la Terre récolté avec respect est divin dans sa pureté!

Ce plaisir m’aide à prendre légèrement la mauvaise surprise qui arrive: nous découvrons que lors de ma chute, le pneu du stricker s’est crevé. Le responsable vélo volontaire du jour est sûr de lui pour m’aider à réparer, et il a raison:

L’après midi nous découvrons l’école steiner de Logelbach que nous présente le collège de coordinateurs. Hors contrat, l’école n’a aucun soutien ni financement de l’éducation nationale, ce qui lui permet d’appliquer une pédagogie novatrice saluée non seulement par la réussite aux examens présentés à l’extérieur (brevet et bac) mais aussi par le haut niveau de curiosité intellectuelle, de créativité et de confiance en soi des élèves. Je découvre cette pédagogie incitant d’abord (dans les classes correspondant au collège) à découvrir le monde dans tous ses aspects (manuel – intellectuel – sensible – spirituel …) puis à partir du lycée à réaliser un projet personnel pouvant être matériel –  sur le principe du  » Chefs d’Oeuvre » des compagnons du tour de France ou non (voyage, formation, projet etc…). J’ai l’intuition qu’une telle pédagogie m’aurait plu, et si la vie me l’accorde, l’envie d’en faire bénéficier mes enfants.

A Muttersholtz, la transition énergétique prend soin des poissons !

Mercredi, 35 km nous séparent de la commune de Muttersholtz, que nous parcourons en empruntant la superbe route des vins et des sentiers sur les hauteurs des vignobles. Le massif des Vosges offre un horizon découpé et bleuté sur notre gauche tandis qu’à main droite la forêt noire dévoile ses rondeurs. A perte de vue les collines couvertes de vignobles enchâssent de superbes villages dignes des contes de mon enfance.

 

La commune de Muttersholtz est devenue un laboratoire de la transition énergétique. Une coopérative villageoise récolte l’énergie produite par les citoyens qui louent leur toits à la commune pour y installer les panneaux solaires. J’apprends le mot « ishiocompatible » qui désigne la forme de l’hélice de la centrale hydroélectrique (cela veut dire « qui ne broie pas les poissons »). Une belle ceinture de verger bios entoure Muttersholtz, qui n’accorde les terres communales qu’à des agriculteurs bio. Le village constate que l’écologie attire l’économie: l’association d’insertion qui entretient les espaces verts et la « ripisylve » (encore un nouveau mot de vocabulaire pour moi, qui désigne le corridor écologique le long des cours d’eau) emploie désormais 150 personnes. De nombreux emplois sont générés par l’atelier de jus de pommes bio, la maison de la Nature qui instruit et milite pour la préservation de l’environnement et les économies d’énergie, l’écotourisme et les balade en barque dans la rivière dont le méandrage participe au retour d’une faune autrefois disparue etc….

Justement la rivière est encore plus inaccessible que le lac, mais la température (32°C!) nous pousse pourtant à y plonger. A nouveau les AlterCopains ne me laissent pas tomber: Ils s’entraident pour me descendre et cette fois c’est encore dans des bras généreux que je profite du glissement de l’eau sur ma peau… et d’un bon bain car je n’ai pas pu me doucher depuis une semaine ! Quelle bonheur !

Fiesta avec les mimeriens pour clôturer l’aventure !

Enfin Jeudi nous pédalons 50 km pour rejoindre Strasbourg. Le jardin partagé de Saint Gall nous accueille avant que nous ne passions la soirée à « la Maison Mimir », ancien squat ayant gagné une légalité, fournissant un abris à ceux qui en ont besoin, tenant un bar, proposant une cuisine pour accommoder les aliments récupérés à la fin des marchés ou auprès des magasins bios. Cette dernière activité accompagne leur prise de conscience de l’impact à la fois environnemental, sanitaire et social de nos choix alimentaires.

Espace social, culturel et artistique autogéré, la maison Mimir est un lieu de tous les possibles, un tremplin, un laboratoire social. Convivialité, éducation populaire, prise de décision collective, prix libre… La diversité des participants y est extrême, la soirée aussi délicieuse qu’atypique….

Cet article est long, il me replonge dans la magie de ces 15 derniers jours.  Maintenant il m’en reste l’envie de m’investir dans l’organisation du tour de l’année prochaine, plein d’inspirations, une réflexion à poursuivre, construire et mettre en oeuvre…

L’année se présente passionnante! Merci l’AlterTour de cet élan: voilà longtemps que je cherchais mon « étoile du berger »!!

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Un petit mot pour vous présenter une très chouette asso dans laquelle je suis impliquée :

« Roues libérées », une asso pour partager le plaisir du voyage à vélo !

« Solidarité dans l’aventure: Roues libérées crée du lien entre des cyclistes porteurs ou non de handicap mais surtout amoureux de la découverte dans la nature en optimisant l’autonomie de chacun par la valorisation de notre interdépendance à tous, avec le goût du dépassement de soi et sans objectif de compétition. Un site internet et un groupe Facebook nous permettent d’organiser des randonnées itinérantes selon les régions en France et à l’étranger. »