Arnaud, le boulanger solaire normand

MathieuAgriculture, Alimentation, Edition 2021, Normandie

Après une belle côte, nous arrivons à la Ferme Néoloco, à Montville (76), chez Gaelle et Arnaud. Nous entrons dans la cour d’une petite ferme normande en « U » comprenant une maison d’habitation, une ancienne étable et un hangar agricole. Sur notre droite, nous apercevons le fournil. Le bâtiment est récent, la charpente posée sur une structure bois et des panneaux d’OSB (panneau de lamelles orientées) constituent les cloisons. Le four à pain (à bois), conçu avec les plans open source de l’Atelier Paysan, est en bonne place à côté du fournil. Entre le four à bois et le hangar agricole, nous découvrons « la machine ». Une grande structure métallique peinte en jaune. Sur la gauche, des dizaines de miroirs, sur la droite une boite en inox munie d’une vitre en verre trempé. 

Nous débutons la rencontre avec un jeu sur l’énergie concocté par Pauline. Les différentes sources d’énergie sont énoncées. Nous devons imaginer une échelle sur le sol : 0% est à proximité du hangar, 100% devant la maison d’habitation. Il faut maintenant deviner quelle énergie est la plus consommée en France en se déplaçant dans l’espace. Nous confrontons ainsi nos représentations sur la consommation d’énergie et concluons que l’énergie la plus propre est celle qu’on ne consomme pas.

Place maintenant à Arnaud de Néoloco :
« Le passage de l’AlterTour est l’occasion de nos premières portes ouvertes et on est très content. Bienvenue à vous !
Il y a 11 ans j’étais en école d’ingénieur. Avec un copain, on a créé l’association les Vagabonds de l’Énergie. On avait le sentiment, en suivant notre formation, qu’on avait plus vocation à contribuer aux problèmes énergétiques qu’à les résoudre. On est parti en voyage autour du monde à la rencontre de projets, d’installations, qui favorisent les économies d’énergies. En Inde, on a fabriqué un concentrateur solaire pour faire de la vapeur d’eau trois fois plus grand que « la machine » qui est devant vous. Après mes études, j’ai travaillé dans des bureaux d’études en lien avec Negawatt. Avec les Vagabonsds, nous venions d’un peu partout dans le monde. Il y avait un Finlandais très actif dans l’équipe, quand nous avons créé notre entreprise Solar Fire, nous l’avons domicilié en Finlande. Avec l’entreprise on a commencé à monter des projets avec des ONG. En France, l’enjeu est de proposer quelque chose de plus enviable alors que dans les pays en développement c’est ça ou rien. L’énergie est rare et on ne peut pas compter sur l’électricité. Les coupures de courant sont fréquentes et peuvent durer très longtemps.

Torréfaction de pois chiches pour un succédané de café

En suivant des projets aux quatre coins du monde, j’étais toujours derrière mon ordinateur et j’avais beaucoup de mal à me payer. Avec Gaëlle, on a décidé de créer et d’utiliser les machines nous-mêmes. J’ai passé un CAP en boulangerie. On m’a prêté un fournil pendant 2 ans. J’ai appris le métier et l’usage du four à bois. En parallèle, je me suis mis à torréfier des graines. J’avais en tête un prototype de concentrateur solaire fabriqué il y 20 ans au Canada. C’est là que l’idée d’un four solaire est arrivée. J’ai recherché des graines qui poussent en Normandie que je peux transformer et vendre ici. Il a fallu également torréfier des graines qui viennent de plus loin, comme la noix, pour lancer une filière locale. Fin 2019, j’ai installé une machine ici pour torréfier. Rapidement j’ai eu envie de cuire du pain dans le four. J’ai commencé à mettre en place des simulations avec le four à bois. Je me suis mis dans les conditions d’utilisation d’un four solaire en simulant le passage d’un nuage, la pluie…
A chaque fois que les être humains inventent un outil, il y a tout une connaissance à développer.
Je me suis beaucoup inspiré des paysans boulangers. Comme la fournée est dépendante de la météo, j’utilise du levain pour une meilleure conservation du pain. J’ai remis à plat toutes les méthodes de fabrication : temps de la pousse, chaleur d’enfournement, hygrométrie… Tous les pains sont commandés à l’avance. Je choisis le jour le plus ensoleillé de la semaine pour lancer la fournée et j’envoie des sms aux clients.

Je vais mettre en route la machine, chaussez vos lunettes de soleil !

Les miroirs projettent la lumière en un point focal sur la vitre du four. On règle la machine sur deux axes. Je la place en face du soleil, puis j’oriente les miroirs. C’est très intuitif, n’importe qui peut utiliser le four. Il n’y a pas de moteur, juste une poulie et des roues.

La question la plus importante pour moi c’est que l’activité soit viable économiquement ici ou ailleurs.

Avec la première petite machine, j’arrivais à produire 40kg par jour en hiver et 100 kg en été. Ce n’était pas viable. J’ai maintenant une machine qui me permet de faire 110 kg / jour de pain en hiver et 240 kg / jour en été.
Aujourd’hui je fais du pain, de la torréfaction, de la livraison et de la conception de machines et ça prend beaucoup de temps. J’ai donc un four à bois en plus pour avoir une fournée le jeudi quelle que soit la météo.

C’est le pain qui m’a amené à la torréfaction

On consomme énormément de produits torréfiés mais on a perdu les savoir-faire : café, chocolat, malt pour certaines bières comme les brunes et ambrées, pâte à tartiner… J’ai retrouvé des recettes qui datent de la guerre au moment où les routes commerciales étaient coupées. Café d’orge, de chicorée,  de pois chiche, des lentilles vertes… En Italie il y a une forte tradition de la torréfaction. On a l’impression qu’on ne peut pas remplacer le café. Mais il y a plein d’alternatives. Le café a la particularité de comporter de la caféine, mais on va retrouver un goût similaire avec la torréfaction des graines qui poussent ici. Avec cette machine, je peux torréfier jusqu’à 200kg de graines par jour.
Pour le café, je ne passe pas plus de 10 kg de grain par fournée.
A chaque fois que nous installons un concentrateur solaire dans le monde, nous remplaçons un torréfacteur au charbon.

Le four théorique idéal laisse entrer la chaleur mais ne la laisse pas ressortir. C’est ce qu’on essaie de faire mais ce n’est pas parfait. Quand un nuage passe 5min ce n’est pas un problème mais 2h c’est plus compliqué. On a créé un four solaire le plus léger possible. Pour qu’il monte en chaleur le plus rapidement possible. La masse ne nous intéresse pas, la mise en charge est longue et la chaleur contenue dans les pierres réfractaires à la fin de la fournée est une énergie perdue. J’ai un stockage variable avec des tomettes à l’intérieur que j’ajoute quand la chaleur monte trop haut. Quand il fait très beau, je mets des tomettes dès le début pour ralentir la montée en température et avoir le temps de faire la fournée. Avec l’expérience, on ajuste notre savoir et notre savoir-faire. J’ai énormément de demandes de formation et d’accompagnement. J’ai mis en place une journée par mois de formation. On discute du mode d’organisation qu’il y a autour.

La journée pain est un moment de repos mental et la conception est un moment intellectuel qui me correspond bien. Je travaille pour mon activité mais j’accumule du savoir-faire et j’améliore les fours.
Aujourd’hui nous arrivons à nous rémunérer (Gaëlle et moi) mais j’aimerais faire évoluer l’entreprise et passer à 4 à 5 salariés dans une ferme plus grande.

Les machines sont construites sur places avec les matériaux locaux et les gens du coin

Nous avons un atelier en Finlande, au Sénégal, à Haïti, en France… Il faut absolument que tout soit créé sur place et donc réparable sur place. En France il faut que le matériel ait un marquage CE pour être assuré. Il faut donc passer par la petite industrie locale pour qu’elle soit certifiée. Celle-ci a été fabriquée au Havre dans une entreprise de 50 salariés. Nous avons dans l’idée d’en commander d’autres par la suite. Il y a 3 autres artisans qui se sont installés. Les machines les plus vieilles en fonctionnement ont 8 ans et elles ne montrent aucun signe de faiblesse.
On est au stade 0 des possibilités sur la concentration solaire. On commence à travailler sur la déshydratation. La limite théorique de la température de la concentration solaire c’est la température de la source de chaleur elle-même, donc du soleil ! C’est la seule énergie renouvelable qui peut être totalement autonome. On peut faire fondre du sable avec un concentrateur solaire pour fabriquer des miroirs ou des vitres et donc créer un concentrateur solaire avec un concentrateur solaire. Deux étudiantes en stage vont mettre en place le tracking solaire et la chaleur tournante. L’étape d’après sera la céramique, il faut être en capacité de monter à 1000°C. Après ça, on pourra faire des alliages. Les plans de la petite machine est disponible sur le site de lytefire.com pour une centaine d’euros. Plus il y aura d’artisans qui s’installeront et plus on pourra mutualiser nos savoir-faire. Après le tracking, j’aimerais concevoir une bouillotte de maison pour l’hiver. Il y a encore tellement de choses à expérimenter… »